Ce que mon engagement à changer m’a appris

L’âgisme

Lors d’une rencontre préparatoire, je suis fière d’annoncer à une partenaire bénévole mon intention de m’engager dans un projet d’animation. Mon enthousiasme la surprend, elle m’interpelle : « Êtes-vous bien certaine de vouloir faire ça ? C’est exigeant, Madame Yergeau!

– Je l’ai déjà fait dans ma vie professionnelle, je sais ce qu’il en coûte.

– Oui, mais… vous n’aviez pas 75 ans! »

Bang! Un violent coup de tonnerre résonne dans mon paysage serein et déclenche en moi un orage sec, capable de mette le feu sans pouvoir l’éteindre. D’abord estomaquée, puis ébranlée, puis… fragilisée. L’intention n’était pas mauvaise, je le sais bien, mais le mal est fait.

Moi qui commençais à reprendre vie après un grand deuil qui s’éternisait! Voilà qu’on me claque la porte sur les doigts, et ce, à cause de mon âge.

Je suis plutôt habituée à d’autres genres de remarques : « Non, mais t’as pas 75 ans?  Ça paraît pas, t’as pas de rides. »  Lors d’une rencontre après plusieurs années d’absence, mon bon ami Rosaire m’aborde en ces termes : « Coudonc, toi Jacqueline, passes-tu ta vie dans l’frigidaire? » Il doit m’expliquer.

La caissière d’un musée en Acadie me demande mon âge avant de m’octroyer le rabais d’usage. Écoutez sa réponse : « J’aurais pas cru, t’as l’air ben picklée. » Elle aussi doit m’expliquer qu’elle fait référence aux pickles, les fameux cornichons conservés dans le vinaigre!

Merci, maman, pour votre patrimoine génétique!

J’ai un horaire de retraitée, ce qui veut dire : occupé, avec des trous que je finis toujours par remplir. Réunion Albatros, gym, cours d’écriture, devoir d’écriture, bouffe, syndicat de condo, couture, déjeuner avec Léa, journée grand-maman, etc.

Ce qui me vaut souvent des commentaires du genre : « Non, mais tu t’vois pas aller? C’est quand on arrête qu’on s’aperçoit de tout c’qu’on fait. Moi, j’viens de tout lâcher, j’suis assez ben! » Ou bien : « Pourquoi tu fais pas livrer ton épicerie plutôt que de monter tes sacs au deuxième?  Ménage-toi donc! » De façon plus subtile : « T’es encore allée garder chez ta fille hier? »

Ce à quoi je réponds : « J’aime créer des costumes d’Halloween pour mes petits-enfants, cuisiner santé, travailler en équipe, offrir du soutien moral à mes amis, écrire, apprendre encore et encore. Voilà autant d’occasions de donner un sens à ma vie. »

Merci, maman, de m’avoir injecté votre énergie!

Résumons : « Tu parais pas ton âge, et c’est tant mieux! Modère tes transports, tu vois pas qu’tu vieillis? » Ces commentaires, l’un réjouissant, l’autre blessant, relèvent tous deux de l’âgisme. J’aurais dû m’en douter, Janette nous avait pourtant averties!

Mais qui veut vieillir? Passer de p’tite madame à p’tite vieille, non merci!

Je me rappelle un autre combat en isme naguère mené et encore loin d’être gagné. Dois-je ressortir mon kit de militante ?

Je reconnais d’emblée habiter du côté du « bien vieillir » : libre, autonome, active, ni malade ni dépendante et bien entourée. Cependant, j’ai une pensée pour les autres, celles et ceux pour qui avancer en âge représente une course à obstacles. Je leurs dis : Vieillir, c’est un privilège. Ou on vit vieux ou on meurt jeune. Vieillir, ça s’apprend. Vieillir, ça se prépare.

Aux bien-pensants de ce monde, j’ajouterai : vieillir c’est aussi une expérience individuelle. À ce titre, je refuse d’être catégorisée clientèle à programmes, cible de marché, bénéficiaire de soins et de services, pire encore, candidate à l’oisiveté. Je refuse d’être ghettoïsée, bannie, exclue, simplement à cause de mon âge.

Justement, à cause de mon âge je suis une personne riche d’expériences accumulées. Par conséquent, je réclame le droit d’être considérée comme citoyenne capable de mettre à contribution mes connaissances et mes compétences.

Plus nous serons nombreux à afficher une représentation positive du vieillissement, plus nous serons écoutés. Servons-nous du pouvoir gris!

Merci, maman, d’avoir fait de moi une battante!

Les années à venir, je les veux pleines et enrichissantes, jusqu’à la fin. Je ne suis pas dupe, je sais bien qu’il y en aura une. En attendant, je continue comme je l’ai toujours fait. Ne dit-on pas qu’on vieillit comme on a vécu ? Je vous fais grâce de ma liste de bobos, n’étant pas une Tamalou. Je verrai à l’usage s’il y a de l’usure, je me rappellerai qu’il y a des quadraplégiques heureux.

À bien y penser, je ne suis ni un pot de yogourt « meilleur avant », ni un pot de cornichons, même sucrés! Je me vois plutôt comme un bon fromage québécois «meilleur en vieillissant».

Auteure : Jacqueline S. Yergeau, Responsable de la cellule Albatros, Trois-Rivières métropolitain

5 pensées sur “L’âgisme”

  1. Louise dit :

    Très beau texte 110% d’accord avec vous. Suffisant pour fermer la trappe à ceux qui pensent qu’on végète et que notre vie devient super banale en vieillissant.
    L’important n’est-il pas de trouver ce qui nous anime et d’y trouver le bonheur? Ça on peut le vivre jusqu’à la fin.
    Merci pour votre beau texte et longue vie à vous.

  2. Josée dit :

    Ma belle-mère qui est décédée à 93 ans allait voir « les vieux » de son CHLSD pour leur remonter le moral. Elle était dans un fauteuil roulant depuis ses 72 ans suite à un important ACV. Elle chantait dans les couloirs, s’assoyait en avant lors des activités pour ne rien manquer et s’inscrivait à toutes les sorties organisées. Dans sa tête, elle est restée jeune malgré son corps qui la lâchait peu à peu. Elle aurait dû être morte depuis longtemps après 4 ACV mais sa jeunesse d’esprit et de coeur l’a gardée en vie. Elle était inscrite à une sortie de magasinage deux jours avant son décès. Elle a aimé la vie jusqu’à la fin. Suivons son exemple et celui de gens comme elle. Restons actifs et nous resterons jeunes longtemps. Bravo Mme Yergeau !

    1. Judith Proulx dit :

      C’est tellement beau Josée! Merci d’avoir partagé avec nous l’amour de la vie de votre belle-mère.

  3. Judith Proulx dit :

    Surtout si la volonté, la santé et l’énergie sont là! Qui sommes-nous pour juger de la manière dont les autres souhaitent mener leur vie?

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