Mes rencontres

Au-delà des apparences

Je voulais savoir ce qui se cachait au-delà des apparences, au-delà de ses images et de ses mots. J’ai donc mis de côté ma peur du jugement et je lui ai écrit, le plus simplement du monde, ce qui me venait à l’esprit:

«Chère Janie, ta façon d’affronter la maladie me touche beaucoup. Je suis très sensible à ta manière de te montrer à la fois forte et fragile. Je tiens un blogue qui s’appelle Dans tous mes états et j’aimerais te rencontrer pour un prochain article. Si ma proposition t’intéresse, on pourrait s’appeler pour en parler davantage. À bientôt j’espère.»

Elle a répondu dans la minute qui a suivi. Elle était intriguée, je l’ai appelée. La douceur de sa voix m’a rassurée dès les premiers instants, mais j’ai tout de même expliqué mon projet d’écriture maladroitement, monologuant pour ainsi dire pendant les 5 premières minutes de notre conversation.

Je ne m’en cache pas, je trouve difficile d’expliquer les raisons qui me poussent à dévoiler ma vulnérabilité, à plonger au cœur de mes émotions et de mes sensations pour les livrer sans pudeur aux lecteurs. Sans doute est-ce d’abord l’espoir de m’en libérer…

Mais il y a plus que ça. Je souhaite que mes lecteurs se posent des questions, qu’ils fassent leurs propres prises de conscience, qu’ils s’interrogent sur leur manière d’entrer en relation avec les autres. J’aimerais qu’on apprenne à reconnaître et à accepter notre vulnérabilité, à la revendiquer même.

Bien sûr, ce que j’ai dit à Janie n’avait rien à voir avec ce que je viens d’écrire. Je lui ai expliqué l’histoire de mon amie Mélissa en me perdant dans le détail. Au bout d’un moment, qui a dû lui sembler une éternité, j’ai repris mon souffle et mes esprits, le but de notre discussion m’est revenu en tête. Je me suis finalement sentie prête à l’écouter, et elle s’est racontée avec générosité.

Un soir du mois d’août 2015, Janie, qui était alors gérante et adjointe à la promotion d’une discothèque bien connue à Sherbrooke, célébrait son anniversaire entourée de ses amis. Mais elle ne se sentait pas bien. Elle a d’abord cru à un mauvais rhume ou à une grippe. Lorsqu’elle s’est présentée à la clinique, quelques jours plus tard, sa pression extrêmement élevée a alerté son médecin, qui lui a demandé de se rendre immédiatement à l’hôpital.

Le rythme de sa voix s’accélère lorsqu’elle entame cette partie de son récit et j’ai peur d’entendre la suite.

«Rendue à l’hôpital, on a repris mes signes vitaux; ma pression était encore plus inquiétante. On m’a assise dans un fauteuil et amenée dans une salle d’observation aux urgences… Prises de sang, échantillon d’urine et hop au labo! Les résultats sont arrivés quelques heures plus tard, indiquant la présence de protéines dans mon urine et un taux apeurant de créatinine dans mon sang: mes reins ne faisaient donc plus leur travail. Faute de spécialiste dans cet établissement, on m’a transférée aux soins intensifs d’un autre centre hospitalier. Mon cas me semblait beaucoup plus grave qu’une simple grippe qui avait mal tournée…

Plus tard, l’ensemble du corps médical a défilé devant moi. J’ai ressassé mon histoire, en leur disant que je ne comprenais rien à ce qui m’arrivait. On m’a branchée de la tête aux pieds: soluté, calmant, nitro et j’en passe… Mon corps ne semblait pas répondre aux traitements; les urgentologues ont décidé de procéder à une dialyse d’urgence.

Je me suis retrouvée couchée, la chair entaillée, un cathéter planté dans la jugulaire. Au moment où je l’ai senti s’enfoncer dans mon cou, ma pression est descendue à 130, alors qu’elle était à 200 – si elle avait été normale, j’aurais certainement perdu conscience. On m’a branchée à une machine, j’ai vu mon sang quitter mon corps pour se faire filtrer. J’avais l’étrange sensation de me faire vampiriser! Le processus a duré une bonne partie de la nuit. Je me sentais faible, exténuée, mais je n’arrivais pas à dormir. On m’a débranchée vers 4h du matin.

J’étais complètement déboussolée. Je ne pouvais pas croire ce qui m’arrivait. Il a fallu un mois pour que mon état se stabilise. Un mois à regarder des murs d’hôpital, c’est long! Le constat: Mes reins ne fonctionnaient pratiquement plus. Désormais, je serais dialysée plusieurs fois par semaine et je vivrais dans l’attente d’un don d’organe

Le film qui venait de se jouer dans ma tête me laissait sans voix. Au-delà de la femme magnifique que j’avais admirée en photos, il y avait une personne souffrante, démunie, qui avait subitement vu sa vie et ses rêves voler en éclats. Ce qui me frappait le plus était la violence de la maladie et l’immensité des deuils qu’elle entrainait dans son sillage. De tous les deuils auxquels Janie devait faire face, j’ai bien sûr pensé à celui de la maternité.

– Est-ce que tu pourras avoir des enfants?

– J’sais pas, j’essaie de pas trop y penser. J’veux pas me raconter d’histoires. Mon plus grand défi, c’est de vivre maintenant et de choisir l’espoir.

­– Mon Dieu! T’es tellement courageuse.

– Ça fait plus d’un an que j’vis avec ma maladie, j’ai fait du chemin. Quand j’suis sortie de l’hôpital, j’me sentais trahie par mon corps, j’me voyais comme un gros cathéter. J’ai donc décidé d’appeler un ami qui est photographe pour lui demander qu’on fasse une séance ensemble. J’avais besoin de me rassurer sur ma féminité, sur ma beauté… j’avais l’impression que j’serais plus jamais la même. Quand il m’a envoyé les photos, j’ai été saisie! J’me suis vue comme je m’étais jamais vue avant! J’étais loin d’être juste une maladie! J’étais une femme, j’étais belle, sensuelle. Y’a quelque chose en moi qui s’est exorcisé à ce moment-là. Je crois que c’était la peur. J’ai fini d’avoir peur. J’ai pu de temps à perdre avec ça!

J’avais au bout du fil une guerrière. Je l’écoutais, en transe, inspirée comme je l’avais rarement été dans ma vie. Mais j’ai dû me résoudre à l’interrompre :

– Janie, je dois aller chercher mes enfants à l’école. J’te rappelle, promis. J’vais aller te voir. T’habites où donc? Oh, c’est loin! Pas grave. J’vais prendre la journée. On a encore trop de choses à se dire. On se reparle très vite.

À suivre…

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Je remercie chaleureusement Dominique Bouchard, du studio Décibel photo, de m’avoir permis d’utiliser cette image qui dévoile Janie, bien au-delà des apparences.

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