Ce que l’accompagnement en fin de vie m’a appris

Le naufrage

Le naufrage a commencé vers le début d’octobre. Lentement. Mélissa était faible, s’alimentait peu, maigrissait à vue d’œil. Le lymphome, lui, profitait de sa maigreur pour s’afficher au vu et au su de tous. Quel salaud!

Les tests auxquels mon amie était soumise – « colonoscopie de 14 km! », comme elle le disait, gastroscopie, biopsie de la moelle osseuse, imagerie par résonance magnétique, TEP scan – brouillaient les cartes par leurs résultats contradictoires. Sa paroi intestinale était si gravement détériorée que ses hémato-oncologues hésitaient à lui faire entreprendre les traitements de 3e ligne. Or, il s’agissait là de son seul espoir.

Vendredi, 23 octobre 2015 :

– Allo Ju! Voici de brèves nouvelles : j’ai vu mon onco aujourd’hui et, comme on s’y attendait, je commence la chimio lundi matin. Par contre, comme la paroi intestinale est très étirée et la chimio, très agressive, les spécialistes craignent une perforation. Ils me garderont donc hospitalisée à Montréal jusqu’à jeudi au moins, par précaution. Si je revenais à Trois-Rivières, le temps d’intervention serait beaucoup trop long en cas de problème. Au fond, ça va me permettre de me reposer et de mieux gérer les effets secondaires. Comme ça, je saurai les anticiper lors du prochain traitement. Mon infirmière pivot semble très confiante, alors je suis encouragée, ça devrait bien aller. Je continue de te tenir au courant. Avec amour.

– Chère Mélissa, je penserai à toi très fort ce lundi. J’ai confiance que tout ira bien.

– J’ai confiance moi aussi. Je ne me suis jamais sentie aussi mal qu’en ce moment, alors la chimio ne peut que me faire du bien.

Ça ne s’est pas déroulé comme on l’espérait. Deux jours après le traitement de chimiothérapie : douleur fulgurante à l’abdomen, perforation intestinale, opération d’urgence. L’effroyable réalité.

Je ne l’ai pas su tout de suite. Je l’ai su le 31 octobre en faisant défiler mon fil de nouvelles Facebook, après avoir couché mes enfants gavés de bonbons d’Halloween :

« La Vie ne nous mène pas toujours sur le chemin souhaité… Non, non, non… Je ne veux pas lire çaJe ne veux pas. Mais je crois par contre qu’il est fou de ne pas la suivre lorsqu’elle nous guide. Aujourd’hui, je vous apprends avec tristesse, mais sérénité, que la médecine traditionnelle ne peut plus rien pour me venir en aide. La chimio a perforé mon intestin et, lors de la chirurgie, ils ont constaté que seul un infime pourcentage des tissus était sain. Insuffisant pour tenter quoi que ce soit. À partir de maintenant, je vis donc ce que j’appelle de l’extra. J’ai l’intention de vivre et de profiter de chaque instant, chaque minute, au maximum, comme je le pourrai. Grâce à votre soutien, j’ai la tête en paix. Je peux vivre mes derniers moments en compagnie de mes proches, de ma famille, de mes amis, sans souci. Même si nous voulions que le tout se solde d’une autre manière, rien de ce qui a été fait, dit, pensé ou vécu ne l’a été en vain. Je m’en remets toujours à la Vie pour la suite car, sait-on jamais, il y a peut-être encore de la place pour un miracle. »

J’étais couchée sur mon lit, tremblante. Je relisais le message, encore et encore. Chacune de mes lectures me happait davantage. C’étaient d’énormes vagues qui me frappaient de plein fouet. Je respirais à grand-peine. Le naufrage aurait lieu. Dans combien de temps? Après combien d’épreuves encore? Nul ne le savait. Il ne restait qu’une certitude : elle périrait.

De lourds sanglots roulaient sur mes joues. Jean-François est arrivé dans la chambre, il avait lu. On s’est enlacé et on a pleuré, d’une tristesse infinie qui nous habitait tout entier.

Une fois apaisée, j’ai écrit :

– Mélissa, j’ai tellement d’admiration pour toi. Je voudrais te serrer fort dans mes bras. Je te trouve forte, courageuse et tellement résiliente d’annoncer une nouvelle si dure de cette manière. Où es-tu présentement? Je suis si profondément attristée, j’aimerais te voir. Avec toi de tout mon cœur.

– Allo ma belle! Je suis toujours à Montréal pour le moment, mais je devrais être transférée à Trois-Rivières en début de semaine prochaine. Ça facilitera les contacts. Et je devrais avoir affaire à ton chum; je l’ai demandé et l’équipe de chirurgie ici était très heureuse de le savoir là. Je crois que ça va faciliter mon transfert pour eux; ils étaient bien contents d’entendre son nom.

– Au moins, un léger réconfort! Merci d’avoir pris le temps de me répondre. On s’inquiétait. Est-ce que ta douleur est bien contrôlée?

– Oui, ça va bien de ce côté. Les nouvelles ont été longues à venir, car nous avons tenté d’avertir nos proches autant que possible avant que ça sorte sur le web. Mais là, je n’avais plus le choix de dire quelque chose. On se voit bientôt, j’ai encore du temps devant moi.

Après ce soir fatidique, on ne s’est presque plus écrit. On s’est vues. J’en avais besoin, plus qu’elle assurément.

Mes questionnements sur la vie, la mort et le sens de notre passage ici étaient si profonds que je devais trouver mes réponses.

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