Ce que l’accompagnement en fin de vie m’a appris

Le cancer

Avril 2015. L’air était frais, le soleil, radieux.  On s’était donné rendez-vous dans un café. Je l’attendais, fébrile. Je réfléchissais à ce que j’allais lui dire. Qu’est-ce qu’on dit à son amie atteinte du cancer? C’était la première fois qu’une personne de mon entourage, jeune et pleine de vie, souffrait d’une maladie potentiellement incurable. J’étais perturbée.

Le dernier texto de Mélissa datait du 20 mars :

– Allo! J’ai reçu des nouvelles encourageantes aujourd’hui, mais j’suis à boutte de parler de tout ça. L’adrénaline est tombée, le stress aussi. J’ai juste le goût de dormir sur une débarbouillette à terre. Je vais te donner des détails plus tard, mais le pronostic est bien meilleur que celui que j’ai reçu plus tôt. Ça reste un cancer agressif, mais il y a des options de traitement intéressantes. Je t’en reparle. Ciao!

Il m’a fallu deux semaines pour rassembler mon courage et lui demander de venir prendre un café avec moi. Au moment où je l’ai textée, elle était en traitement à Montréal. J’ai été surprise : « Déjà! »

– Comment ça se passe?

­– Bien.

– Tant mieux!

– C’est la Cortisone et le Décadron qui me donnent du fil à retordre. Disons que j’suis pas pire trop stimulée! Et je passe par des états d’âme super high à super down en claquant des doigts. J’suis sur la grosse drogue dure! LOL Je vais bien finir pas maîtriser ça au fil du temps.

– Est-ce que tes médecins sont encourageants?

– La douleur, c’est dur aussi; c’est pas toujours pareil, j’ai de la misère à m’ajuster. Oui, plutôt encourageant. J’ai un bon médecin. Apparemment, la perle du département.

– T’es où au juste?

­– À Notre-Dame, au 4. Je réalise que je t’ai pas tenue au courant : je reçois un traitement à base d’anticorps (Rithuxan) au lieu de la chimio. Je fais 4 traitements, puis je passe un scan pour voir la progression. Si je suis chanceuse, après 7-8 traitements, ça pourrait avoir disparu et j’aurais pas besoin de chimio!

– Wow! Vraiment bonne nouvelle!

– Ç’a été tellement fou raide les deux dernières semaines. C’est indescriptible ce qui se passe dans le corps, le cœur, le cerveau. Aujourd’hui je pète le feu, mais des fois, c’est vraiment pas drôle.

– C’est sûr que je peux pas m’imaginer… mais je te crois sur parole.

– J’imagine qu’avec le temps ça va se placer. Aussi, autre truc important : le type de lymphome que j’ai est agressif, MAIS c’est le seul qui se guérit complètement. Donc, pas de récidive. Si je m’en clair, c’est pour la vie!

– Oh my God! Ça, c’est une bonne nouvelle! J’suis avec toi de tout mon cœur, Mel. On se voit mardi.

J’étais perdue dans mes pensées au moment où elle est entrée. Elle souriait. Elle était belle, lumineuse. Elle semblait tout droit sortie d’un magazine de mode avec sa veste en jeans, sa jupe courte et son t-shirt statement : I’m not giving up, I’m starting over.

Le ton était donné!

Je ne me suis pas demandé longtemps ce que j’allais lui dire, elle avait besoin de parler. Elle était très anxieuse à propos de l’argent et m’expliquait ses déboires dans les moindres détails. Tout à coup, elle a lancé :

– Hier soir, je me suis dit : Relax minou!, qu’est-ce que Judith ferait, elle, vu qu’elle a pas peur de manquer d’argent? A dirait, énerve-toi pas avec ça! Y va en avoir de l’argent, concentre-toi sur l’essentiel!

Je suis restée tellement figée. Elle a éclaté de rire :

– Non mais, c’est vrai. Toi, tu penses pas à ça, l’argent. Tu t’inquiètes pas avec ça. Y’en a, y’en a toujours eu, y’en aura encore! Je voudrais tellement pouvoir lâcher prise là-dessus.

Il n’y avait rien de méchant dans le ton de sa voix, pas même une pointe d’envie. C’était plutôt – j’ai beaucoup de difficulté à l’exprimer –, plutôt comme si elle voyait en moi un modèle. Ça m’a frappée. Je lui ai fait un clin d’œil : « C’est vrai, Mel. Y va en avoir de l’argent! Arrête de t’en faire avec ça. »

Au-delà de ses préoccupations matérielles, Mélissa était profondément en quête de sens. Elle l’était déjà bien avant le diagnostic. La vie l’éprouvait sans arrêt, mais elle ne voulait pas se laisser gagner par la colère et le ressentiment. Elle s’était mise à lire tous les ouvrages de croissance personnelle qui lui tombaient sous la main. L’un d’eux, plus ésotérique, l’a marquée au fer rouge.

C’était une autobiographie intitulée Mourir pour vivre. L’auteure, Anita Moorjani, y raconte comment elle a miraculeusement guéri du cancer (un lymphome justement). Elle explique de manière détaillée son expérience de mort imminente : la sensation de plénitude qui l’habitait dans l’au-delà, puis la nécessité de revenir en ce monde pour aider les gens à vivre sans avoir peur de mourir et, surtout, sans avoir peur de vivre.

J’écoutais Mélissa. Jusqu’ici, pas (trop) de problème. Puis, elle s’est mise à me dire – elle l’avait appris dans ce livre – que le cancer était une forme de déséquilibre, que les maladies étaient causées par nos pensées négatives, par nos peurs et nos angoisses. Donc, si elle voulait guérir, elle devait retrouver son équilibre physique, mental, spirituel…

Je connaissais suffisamment Mélissa pour savoir qu’elle venait de mettre la main sur un ouvrage dangereux, pour elle. Elle était déstabilisée, vulnérable et… obsédée par sa quête de la perfection. Elle contrôlait chaque aspect de sa vie et voilà qu’on lui disait que la guérison reposait sur sa capacité à atteindre l’équilibre, à lâcher prise.

Je vous jure, j’en ai voulu à Anita Moorjani d’avoir écrit ce livre.

Il y a une semaine, en me rendant dans un café pour écrire, j’ai ressenti une impulsion, très forte : Va l’acheter et lis-le! C’est ce que j’ai fait, sur le champ. J’ai lu le livre d’un couvert à l’autre sans m’arrêter, en sautant quelques paragraphes pour aller plus vite. L’histoire d’Anita Moorjani est absolument fascinante : jamais les médecins n’ont pu expliquer la guérison de son cancer. Son témoignage est l’un des plus beaux que j’aie lu au sujet de la maladie, de la mort et de la vie.

J’ai compris. Le problème, ce n’était pas le livre, mais l’interprétation. Or, comment pourrais-je en vouloir à Mélissa? Ma chère amie était en quête de sa vie. Elle tentait « sans force et sans armure / d’atteindre l’inaccessible étoile ».

Ce matin d’avril, Mélissa m’a dit :

Si je m’en sors, je change. J’arrête d’avoir peur. Je sors du négatif. J’avance.

Ses paroles, elles résonnent en moi avec une force inouïe.

 

5 pensées sur “Le cancer”

  1. Caroline Corriveau dit :

    Tu me donne envie de le lire ce livre 🙂 peut être que ca me donnera un autre point de vue sur le cancer et vivre avec … De mon côté je vois presque toujours le verre à moitié plein … Ca me donne espoir et foi en la vie et m’aide à continuer … A foncer mais pas facile de trouver un sens quand la vie nous met à rude épreuve … J’aime bien te lire … Continue

    1. Judith Proulx dit :

      Je t’admire, Caroline. Merci pour ton commentaire! Je t’envoie plein d’énergie positive.

  2. Josianne Baril dit :

    Elle avait déjà arrêté d avoir peur….. depuis longtemps…..
    Mon Dieu….. maudit cancer…..

  3. Catherine Guyot dit :

    Chère Judith, les mots me manquent alors que pour toi ça semble si facile d’écrire. J’ai enfin découvert ton blogue lors d’une petite vacances loin des miens. J’ai la gorge nouée à la fin de ton dernier article… Beaucoup d’émotions…
    Bravo pour ton excellent travail et… À la semaine prochaine!

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