Ce que mon engagement à changer m’a appris

Révoltée? #MoiAussi!

Je tiens mon blogue depuis plus d’un an, et je n’ai jamais eu l’envie ni l’intention d’écrire à propos de l’actualité. Mais cette fois-ci, c’est différent. Je suis bouleversée par les dénonciations d’hommes et de femmes ayant été victimes de harcèlement et d’agressions sexuels de la part de personnalités très influentes dans le milieu artistique québécois.

Avant même que l’Affaire Éric Salvail n’éclate mercredi matin, je me sentais ébranlée par les innombrables témoignages que j’avais lus dans la foulée du #MoiAussi. Des femmes que j’aime, mes amies, mes collègues, mes connaissances, révélaient des situations qui les avaient rendues profondément mal à l’aise et qui avaient fait naître en elles un sentiment de peur (de terreur pour certaines). Le fait qu’elles aient le courage de rompre le silence pour exprimer leur vérité a créé en moi un élan de solidarité tel, que j’ai ressenti l’urgent besoin de partager mon histoire pour que cette parole naissante ne cesse jamais de s’accroître.

Subitement, alors que je me remémorais les événements survenus en 2004, j’ai garé ma voiture et j’ai écrit à toute vitesse mon statut #MoiAussi.

J’avais 22 ans et j’étais auxiliaire d’enseignement en communication à l’École de technologie supérieure de Montréal. Dans ce haut lieu de savoir où on forme des ingénieurs, la plupart de mes étudiants étaient des hommes de mon âge ou plus âgés que moi. Cette réalité m’intimidait beaucoup au départ, mais je m’y suis habituée, notamment grâce à l’attitude respectueuse des étudiants. Le problème est venu d’un chargé de cours en mathématiques, qui a d’abord été très cordial, me saluant gentiment chaque fois que je le croisais.

Puis, il a commencé à me complimenter : j’avais un si beau sourire, j’étais si élégante, si intéressante… Au départ, je l’avoue, j’ai accepté ses compliments avec gentillesse. Mais voilà, sans doute ai-je été trop gentille… Il a commencé à insister pour que j’aille prendre un café avec lui, puis un souper. J’avais beau refuser ses invitations, répéter que j’étais en couple et que je n’étais pas intéressée, rien n’y faisait. Sa voix, si mielleuse lors des premiers échanges, est devenue de plus en plus autoritaire. Une flamme de colère brillait dans ses yeux noirs chaque fois que je tentais de m’esquiver.

Je me suis mise à avoir très peur. Mon cours se terminait tard le soir, en même temps que le sien. Souvent, il m’attendait et me suivait dans les couloirs en réitérant ses demandes pressantes. J’étais terrifiée à l’idée de me rendre seule au métro. J’ai enduré cette situation pendant plus de deux sessions avant d’en parler à un agent de sécurité. Je n’ai même pas eu le courage de faire une plainte en bonne et due forme, car je ne croyais pas que la situation était suffisamment grave. Pourtant, cet homme a réussi à installer en moi une peur et une méfiance que je n’avais jamais ressenties auparavant.

Au fond, ce devait être de ma faute. Si je n’avais pas été si gentille…  Comme la plupart des victimes, je me suis sentie honteuse et responsable de ce qui m’était arrivé. J’ai choisi de ne plus enseigner à l’ÉTS.

Mercredi matin, après avoir lu l’article des journalistes Katia Gagnon et Stéphanie Vallet, je me suis rendue sur le site du journal The New-York Times, et j’ai lu tout ce que j’y ai trouvé au sujet du producteur américain Harvey Weinstein. J’ai dû réprimer mon haut-le-coeur. Je suis passée du dégoût, à la rage, à la révolte. J’étais révoltée que tant de personnes soient encore victimes d’agresseurs, qui ne sont même pas conscients du mal qu’ils font et de la souffrance qu’ils infligent.

Mais la révolte a ceci de positif : elle nous pousse à agir pour que cesse l’inacceptable, et c’est précisément ce qui est en train de se produire.

Dans sa chronique parue le 19 octobre, Patrick Lagacé définit bien les sentiments de protection et d’appartenance suscités par le #MoiAussi. « Il y a de cela très longtemps, écrit-il, je me suis ramassé en Afrique, dans la savane. La guide nous avait expliqué pourquoi les buffles et les zèbres et autres proies des lions se tenaient en bande. There is safety in numbers, avait-elle expliqué. Il n’y a de sécurité qu’en groupe : le buffle, seul, n’a aucune chance contre les lions, parfois même contre un seul lion. Mais à 20, à 30, à 50 : le groupe peut faire front, se défendre, repousser les prédateurs. Les terrasser, même. #MoiAussi a permis de créer un groupe virtuel pour ces victimes. Et quand ces personnes ont parlé […], elles l’ont fait en groupe. Ce n’est pas un hasard : There is safety in numbers. »

La force du nombre a éveillé un pouvoir : le pouvoir de dénoncer les coupables pour que l’histoire ne se reproduise pas indéfiniment. Je souhaite que le sentiment de révolte qui habite plusieurs d’entre nous soit un puissant moteur de changements. Notre société doit évoluer en offrant aux enfants et aux adolescents une éducation sexuelle de qualité.

J’espère que les instances décisionnelles et les politiciens entendront cet appel et agiront de manière conséquente, dans les plus brefs délais. Car même dans les plus hautes sphères du savoir, ce manque d’éducation est criant.

 

2 pensées sur “Révoltée? #MoiAussi!”

  1. Joanne dit :

    Bravo Judith! Il faut que cela cesse! Nous ne sommes pas des objets sexuelles mais des êtres à part entiers.

    1. Judith Proulx dit :

      Tout à fait d’accord! J’ai espoir. Les mentalités sont en train d’évoluer. Nous devons demeurer très alertes et solidaires.

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